1 - ART ET CONNAISSANCE

Si on a longtemps opposé ce qui est traditionnel en matière d’art à ce qui est moderne, le destin de la modernité esthétique échappe désormais à ce schéma ambivalent.
Ce n’est plus entre le conformisme et le non-conformisme qu’il se trouve être mis en question, mais dans quelque chose de fondamentalement "autre", qui tient aux nouvelles structures de pensées qui se mettent en place à l’ère de la culture électronique. Le moment est venu de nous demander si l’activité de l’art peut être légitimement considérée comme relevant du domaine de la connaissance.
Pour beaucoup, l’art se limite à un divertissement qui, pour être subtil ou profond, n’en reste pas moins... un divertissement, plaisir de l’esprit, plaisir du jeu, plaisir hédoniste du sensible, mais plaisir qui reste imparti à une activité...
seconde. Activité certes "agréable et gratifiante", mais qui ne s’impose jamais comme une nécessité première de notre existence.
Quelquefois, l’art se trouve même relégué au statut de pur ‘"ornement", si ce n’est à celui de "passe-temps" culturel, pour retraités du dimanche ou dames patronnesses.
Les artistes sont supposés détenir certains éléments de connaissance, sans qu’on connaisse clairement la nature de cette connaissance, pas plus que son origine, ni sa finalité. Disons qu’il est admis implicitement que, sans être des savants, ils sont perçus et reconnus comme des "gens qui savent". Des gens qui savent quelque chose de précieux pour notre vie présente, quelque chose de lié à la recherche d’un certain "état" de bonheur et de qualité sensible de vie. En s’appuyant sur des exemples, il serait aisé de montrer que l’art repose sur des connaissances, qu’il recourt à des savoirs théoriques, qu’il peut même être une pratique où s’élaborent de véritables données scientifiques, comme ce fut le cas lors de la découverte de la perspective.
Il serait plus intéressant encore d’accréditer l’idée selon laquelle l’art est une connaissance de type particulier et spécifique, étrangère à toutes les autres formes de connaissance. L’idée que l’art est une connaissance est un fait constitutif de la naissance de la théorie de l’art dans les traités italiens du XVIème siècle et les textes français du XVIIIème.
Les théoriciens de l’’ge classique assignent à l’art une triple finalité : éduquer, plaire, émouvoir. Il faut souligner comment, à chaque époque, la pratique artistique a besoin de légitimer la noblesse de ses finalités en s’efforçant d’établir des distinctions de l’usage des outils auxquels elle recourt. C’est ainsi qu’après un long conflit, la fondation de l’Académie royale de peinture et de sculpture consacre le statut à part entière de la peinture, qui cesse du même coup d’appartenir aux "arts mécaniques" dont elle s’affranchit. Plus tard, c’est la photographie qui aura les mêmes difficultés à se faire reconnaître.

De nos jours, la confusion persiste pour ceux qui ne voient dans la vidéo, l’informatique, les techniques de télé
communication qu’utilisent les artistes que des supports "techniques", et cela, quels que soient les concepts et les intentions propres à l’art, qui sont mis délibérément en jeu par l’artiste. Souvent, dans un premier temps, ce n’est que la "machine" qui est perçue. L’art ne se voit pas. L’objet mécanique ou électronique occulte ce qui est essentiel par une omniprésence ou un fonctionnement trop visible.

L’évolution de la pensée dans le domaine scientifique, notamment dans celui de la physique moderne au XXème siècle, dément l’idée reçue selon laquelle il y aurait, d’un côté une connaissance relevant du savoir objectif appartenant au strict domaine des sciences, et de l’autre une pensée "subjective" relevant des arts. Les technologies nous ont fait accéder ces dernières années à ce qu’on appelle les réalités virtuelles :
le cyberespace. Ces dispositifs, auxquels s’allie le développement des sciences de la cognition, nous amènent à reconsidérer tous les aspects sensoriels proprioceptifs en même temps qu’ils renouvellent nos apprentissages de l’espace... Si ces outils par eux-mêmes n’ont pas de prise de position scientifique, technologique ou artistique, il n’en reste pas moins qu’ils nous contraignent à réviser les concepts fondamentaux de l’art, accélérant ce qu’il est devenu commun de nommer la crise de la réalité. Ce qui se met en place progressivement, c’est une nouvelle anthropologie.
Dans ce contexte, et dans le type de culture vers laquelle nous infléchissent ces données nouvelles, les outils électroniques constituent des sondes que les artistes tentent de s’approprier pour essayer de "déchiffrer" le monde, un monde de plus en plus obscur et complexe, que les philosophes eux-mêmes, retranchés derrière des concepts historiquement et soigneusement classés, semblent avoir renoncé à comprendre. Comme l’Histoire en témoigne, il y a forcément des passerelles entre le monde des Sciences et celui les Arts. Après la dispersion et l’isolement des disciplines qui s’enfermaient chacune dans leurs territoires respectifs de plus en plus spécialisés, des visions de synthèse émergent. Une théorie, la théorie du chaos, permet cette convergence, en débouchant sur les sciences de la complexité issues elles-mêmes de la cybernétique et de la systémique. C’est une nouvelle vision du monde qui nous est proposée, et que la création artistique elle-même doit intégrer à son champ propre d’investigation pour pouvoir pousser toujours plus loin ses explorations sensibles.
La pratique artistique se trouve investie d’un rôle exploratoire qui relève d’une recherche singulière touchant à la connaissance de soi et proposant des expérimentations du vivre à travers des dispositifs dans lesquels la "présentation" interactive se substitue à une démarche antérieure fondée uniquement sur la "représenta-tion"... Cette évolution conduit l’art à se définir comme une entreprise de connaissance, mais d’une autre nature que celle appartenant au domaine spécifique des sciences et à ses finalités. La démarche artistique reste pour son compte attachée en premier lieu à des enjeux sensibles, symboliques, existentiels, éthiques, esthétiques :
la nécessité de produire du sens. Au risque de paraître schématique, mais par souci de rendre plus claire la nature de cette différence, nous dirons que l’entreprise de connaissance de l’art emprunte des voies de traverse qui ont pour but de placer le sujet dans des dispositifs et des situations qui l’amènent à éprouver d’autres formes d’adaptations sensorielles et mentales...
Attitude lucide qui en s’inscrivant dans la dynamique des interactions, dans une vision holistique et une approche systémique, échappe à une conception antérieure de l’art circonscrite aux limites de la contemplation des apparences. Dans le contexte des mutations qui affectent notre époque, et devant l’avancée des connaissances et des techniques telles que l’intelligence artificielle, l’art se présente comme un instrument d’adaptation inventive qui, à sa façon, tente de faire face à des situations inédites auxquelles se trouve confrontée l’humanité. Cette évolution amène un artiste comme Louis Bec, zoosystémicien éclairé, à proposer des esthétiques dites de l"autonomie" et de l"amputation" à travers des modélisations artificielles. Esthétiques qui se trouvent réactivées par l’amplification technologique. Des artistes comme Stelarc nous aident à repenser les fonctions d’un corps devenu obsolète et doté aujourd’hui de prothèses technologiques. Gérald Heffernon rêve de l’cher ses robots dans le désert pour les voir s’auto-adapter à l’environnement et lutter contre les animaux sauvages.
Dans cette entreprise de connaissance qui lui est propre, et dont les signes doivent encore s’affirmer avec plus de singularité pour se démarquer de la recherche purement scientifique, l’art est susceptible d’apporter des éléments de réponse originaux non seulement de source individuelle, mais s’inscrivant de manière collective à travers les réseaux selon les principes de l"intelligence distribuée". Ces principes, selon des observations faites dans certaines sociétés organisées d’insectes, veulent que des savoirs et des comportements locaux, parcellaires et autonomes, finissent par constituer, sans ordre hiérarchisé de l’information, une intelligence globale parfaitement cohérente avec les comportements de l’espèce. Pierre Lévy, philosophe de l’informatique, avec ses "Arbres de connaissances" propose, au moment où l’ordre ancien des savoirs et des représentations bascule, un nouvel espace collectif à partir d’une nouvelle configuration technique. Un espace "convivial" dans lequel pourraient à la fois se préserver l’identité de chacun et se partager aussi à partir d’un nouveau rapport au cosmos un nouveau style d’humanité. Depuis un certain nombre d’années déjà, l’artiste Roy Ascott, cité dans le chapître précédent, développe d’une façon originale et quasi prophétique cette idée d’un art des réseaux. Cet art constitue avec ses outils télématiques une sorte de filet aux dimensions planétaires, dans lequel les protagonistes existent à la fois en tant qu’individus, mais aussi comme entité collective "supérieure", source d’une production singulière d’imaginaire. Récemment encore il affirmait dans une conférence sa conviction que les champs de l’art et des sciences convergent pour donner lieu possiblement dans le futur à un domaine hybride qu’il baptise du nom barbare de "technotique".
Au fur et à mesure que l’homme s’invente dans ce mouvement qui le propulse du vivant à l’artificiel, il éprouve à certains moments la nécessité de se "saisir" avant de se... "dessaisir", dans cet engagement dynamique qui le pousse toujours un peu plus loin. L’homme transforme le monde, mais le monde qu’il a transformé le transforme lui-même à son tour. La fonction de prise de"conscience" qui réside dans cette "saisie" a souvent été dévolue, entre autres, comme prérogative fondamentale de l’art. A chaque époque, l’art est un témoignage sur cette "saisie" de l’homme dans un temps donné. Mais dans cette période de changements à répétition, qui demande une adaptation rapide et constante, il est intéressant d’observer les décalages qui séparent les modèles produits dans le circuit commercial de l’art des modèles esthétiques qui se cherchent en adéquation avec la pensée philosophique et technologique d’aujourd’hui. Ce que nous voudrions mettre en avant relève d’une évidence : le musée d’art contemporain est de plus en plus déconnecté du monde réel, du monde de la recherche, de l’environnement social, de l’évolution des connaissances. Ce fait n’affecte pas seulement le milieu des arts plastiques, mais ceux aussi de la littérature, de la philosophie, voire du cinéma. On a l’impression que le temps a marqué un temps d’arrêt : artistes et philosophes vivent trop souvent dans des univers clos. Jadis des philosophes comme Diderot, d’Alembert, Bergson et, plus près de nous, Merleau-Ponty, tenaient compte des avancées scientifiques de leur temps et les intégraient dans leurs modes de pensée. Ce qui prévaut dans le domaine officiel de l’art contemporain c’est plutôt un certain "immobilisme", une propension à cultiver la "facilité", et tout au plus à donner dans la provocation gratuite. Duchamp a été un moment important de l’Histoire de l’art. Son héritage a marqué en même temps un coup d’arrêt, provoquant semble-t-il un tarissement de l’inven-tion, générant pour seul prolongement effectif qu’une suite malencontreuse d’épigones incolores et inodores. Il semble que le dialogue fructueux qui a pu s’établir autrefois, au cours de l’Histoire entre artistes et scientifiques ne soit plus la préoccupation première des artistes qui se produisent sur la scène de l’art contemporain. C’est le moins que l’on puisse dire... Nous ne sommes plus au temps où les peintres, loin de négliger le commerce des scientifiques, le recherchaient au contraire ardemment, redécouvrant l’analyse des couleurs et de la lumière dans des traités savants d’optique. Picasso demandant au collage ce qu’en attendait Cuvier : la reconstitution d’une réalité qui ne peut être appréhendée que par fragments. Etienne-Jules Marey décomposant le mouvement par des rythmes qui en rendaient "visibles" les phases et les séquences. Les artistes encore trop nombreux sous la prégnance des codes de la peinture et d’une esthétique connotée "Beaux-Arts", sous l’emprise de son idéologie, devront faire un réel effort de réactualisation pour prendre en compte les avancées techniques, théoriques et scientifiques de leur temps s’ils ne veulent pas faire figure très vite de dinosaures.

Dans le domaine de l’art, nous sommes restés tributaires de théories historiques dont les grilles d’interprétation ne correspondent plus à l’état actuel du monde, de ses connaissances, de ses techniques, de sa sensibilité. Pour ce qui relève du rapport entretenu entre les arts et les sciences, il serait édifiant d’en étudier l’évolution depuis le siècle des Lumières, de l’Encyclopédie et de Buffon, le créateur du Muséum d’Histoire Naturelle par décret de la Convention du 10 juin 1793... Il s’agissait bien à l’époque des Beaux-Arts, dans un sens large et noble, d’un musée qui englobait aussi bien l’esthétique que les sciences traitant de la médecine, de la mécanique, de l’électricité, de l’optique et des rapports divers que ces disciplines entretenaient entre elles.
Il ne fait aucun doute que notre sensibilité évolue en fonction de notre façon de percevoir le monde qui évolue elle-même en fonction des transformations que les technologies imposent à notre environnement, à nos modes de vie et à nos modes de pensée. Notre façon de comprendre le monde se modifie en fonction de ces paramètres. L’expression artistique entretient un rapport étroit avec ces phénomènes et l’art, par voie de conséquence, ne peut plus être identique à ce qu’il a été hier... L’art en émergence ne peut être, ne doit être, qu’actuel ! La relation entre l’art et l’état du savoir à un moment historique donné est toujours en étroite concomitance. Le recul du temps permet d’en mesurer les enjeux, d’en "conscientiser" toujours mieux les liens et conséquences. Il ne faut pas être grand prophète pour affirmer que l’accélération du rythme des connaissances, et celui exponentiel des technologies, aura des incidences directes sur nos modes de vie, et que l’art sera, au niveau de ses techniques de réalisation, de ses contenus et ses orientations en sensibilité directe avec les avancées scientifiques de notre époque.
S’il fallait apporter une illustration qui témoigne comment l’homme moderne expérimente "sensoriellement" la vitesse de la lumière, nous citerions ce très léger retard de la voix, chaque fois que nous établissons avec notre téléphone une
communication téléphonique intercontinentale... Il était prévisible que des artistes qui s’intéressent de près à ces "troublants" phénomènes qui président à notre rapport au temps et à l’espace tentent par des dispositifs singuliers de nous les faire éprouver. C’est ce qu’ont fait des artistes dans des actions multimédias qui ont mis en œuvre des satellites de communication par delà les continents. Leur propos n’étant pas bien sûr de satisfaire à l’établissement d’une liaison technique de plus, mais d’impliquer expérimentalement l’utilisa-teur dans une dimension sensible de sa relation au monde. En fonction des techniques disponibles et à chaque époque, les artistes ont essayé de communiquer à leurs contemporains des messages sensibles. Un travail d’approfondissement sur la perception a été mené par la peinture des siècles durant. Le tableau, à sa manière, dans sa matérialité physique, l’agencement raisonné et sensible de ses formes et couleurs, a constitué un "dispositif" destiné à questionner nos perceptions. Si la culture propre à chaque média a pu naître et se fonder en s’approfondissant à travers les ‘ges, le média n’est que l’interface qui nous relie à cette réalité insaisissable qui nous échappe et que nous tentons de fixer désespérément par les signes qu’en tracent l’art. Certes, la réalité est toujours saisie à travers un média donné, et le résultat cette "saisie" est directement induit par la spécificité inhérente au média lui-même en cause.
Mais ce qui reste essentiel, le moteur de l’art et sa justification dernière, c’est la "quête" permanente engagée par l’artiste, par l’homme, pour faire du sens dans sa vie. Quand la forme n’exprime plus que la forme, et que cela devient son unique finalité et objectif, nous assistons alors à une lente dégradation et stérilisation, une dérive fatale vers des fonctions maniéristes, ornementales et décoratives. L’Histoire des arts visuels abonde d’exemples de cette inévitable dégradation et lente obsolescence. Mais revenons aux outils d’aujourd’hui et étudions le meilleur usage que nous puissions en faire, comme artiste et comme citoyen dénonçant des pouvoirs abusifs qui maintiennent des valeurs truquées. Depuis quelques années, une nouvelle génération de technologies permet de reconsidérer les possibilités de développement d’une télévision "interactive". La plupart des chaînes de télévision utilisaient déjà le téléphone comme moyen de relation dialogique avec le public pour des émissions très diverses, allant du jeu à la fiction, en passant par les débats. Il est important, pour préparer la télé du futur, de tenir compte de l’expérience du passé. Diverses voies s’offrent qui ont toutes en commun deux niveaux stratégiques : celui de l’écriture d’une part, celui de la bonne connaissance des publics d’autre part. En mêlant les enseignements antérieurs à l’innovation, nous sommes conduits au seuil d’une nouvelle ère de la TV qui perd sa seule spécificité et s’intègre au multimédia dans une conception plus globale où figurent les télé
communications et l’informatique. Cette convergence ouvre la voie à de nouvelles dimensions culturelles et sociologiques qui risquent de bouleverser notre rapport à l’information. La révolution de la transmission numérique, puis de la compression numérique, rend possible la réalisation de programmes des plus étonnants. Derrick de Kerckhove, directeur du programme Marshall McLuhan au Canada, écrit :
"Au Moyen Age, puis à la Renaissance, la scène et le public se mêlent. Ce n’est qu’au XVIIIème siècle, sur une initiative de Voltaire, que les sièges du public quittent la scène elle-même. La séparation entre public et spectacle devient radicale. Le sujet se trouve projeté en dehors de l’objet, comme il est maintenant hors du spectacle. L’Histoire de la TV, qui rejoint désormais celle de l’informatique et des télé
communications, suit le chemin inverse. On passe du frontal passif au frontal interactif. Puis, avec la réalité virtuelle, on plonge dans l’écran. La sensibilité du "point de vue" cède la place à une sensibilité que j’appelle du "point d’être".
Dans le domaine des jeux virtuels et d’interaction avec les publics, il faut citer le procédé Cinématrix. Cet outil offre une expérience originale dans laquelle des personnes communiquent entre elles par un système informatique. La
communication est réalisée au moyen de dispositifs individuels de saisie. Le public est filmé par une ou plusieurs caméras vidéo. Les signaux vidéo sont analysés en temps réel avec projection des images sur grand écran comme données des interactions du public entraîné dans une participation immédiate. La participation requiert un flot continu de données mais peu de décisions binaires. On voit tout le parti créatif que les artistes pourront dans le futur tirer de tels dispositifs en contribuant à l’élaboration d’un nouveau langage et d’un nouvel imaginaire. Des possibilités insoupçonnées vont s’offrir à ceux d’entre eux qui travaillent sur le corps dans le prolongement de ce qu’avait été le Body-Art des années 70. Le prochain paradigme d’interface "homme-ordinateur" émergera des technologies qui prennent leur source directement dans l’énergie du corps humain. Les progrès actuels réalisés dans le traitement des signaux biologiques permettent d’espérer une interface directe avec les technologies informatiques qui utilisent les signaux bio-électriques (champs électriques des muscles, des yeux, du cerveau). Ces technologies, et celles qui s’annoncent, s’appuient sur le système neuro-musculaire pour une interaction dont les temps de réponse seront de l’ordre du réflexe face à des données multimédias complexes. Ce type d’interface permettra une véritable interaction expérimentale avec l’information. Les handicapés peuvent déjà commander à distance des bras robotisés ou des véhicules gr’ce aux muscles du visage et le déplacement du regard. Dans les projets où le développement technologique risque de bouleverser les concepts artistiques tels qu’ils étaient établis, il faut mentionner le concept de "sculpture" microscopique de Masaki Fujihata. Ce projet utilise le micro-usinage pour produire une sculpture de dimension microscopique imperceptible à l’œil nu mais qui existe pourtant réellement. Elle est façonnée dans une pastille de silicium. Pour la distinguer, il faut disposer d’un microscope électronique à balayage... Cette pièce est-elle une œuvre d’art digne d’être exposée dans un musée? Les visiteurs, dans ce cas, devront croire à sa réalité au vu... d’un agrandissement photographique.

La problématique que soulève ce genre de proposition relève directement des questions qu’a toujours soulevées l’art quand il vise à nous interroger sur la relativité de nos perceptions et les frontières de notre champ de conscience.

La "sculpture" microscopique constitue une proposition artistique qui nous rappelle en quelque sorte que nous faisons trop confiance au pouvoir d’information de la vision oculaire. Depuis l’in-vention du télescope, du microscope, de la simulation par l’informatique, nos facultés d’observation ont été bouleversées et notre sens de la vue s’est modifié. A présent, nous vivons dans un monde de technologies puissantes dont nous devons nous servir pour appréhender de nouvelles réalités. Ariel Kyrou, co-directeur de Moderne Multimédias décrit ainsi l’œuvre de deux jeunes artistes, présentée au festival de Linz en 1993, Christa Sommerer et Laurent Mignonneau :
"Dans une pièce sombre une fougère, un cactus, un lierre et un petit buisson. Approchez votre main du lierre. Une forme en 3D naît sur le grand écran, juste derrière. Glissez une caresse sur le cactus : une autre excroissance pousse ! Touchez plus fort, la nature de la création change. Les plantes réagissent au toucher, au mouvement, à la chaleur, au nombre de gens dans la pièce et transforment l’œuvre que vous créez. Le plus petit geste, la moindre intention bouleverse une réalité toujours mouvante. La frontière entre le sujet et l’objet se brise. Et quand vous sortez de la pièce, vous voyez la nature autrement. L’interaction entre la machine et ces cinq plantes "informatisées" a précisé votre vision de l’arbre ou de la fleur. La création interactive nourrit le réel autant que le réel la nourrit."
Qu’on le veuille ou non, une culture de l’image technologique et de
communication en réseau existe déjà. Sa présence occupe une place de plus en plus importante dans la vie de nos contemporains. Une culture "écranique" qui diffuse aussi bien des émissions TV, des clips-vidéo, des images de télé-surveillance et des mouvements du fœtus lors d’une échographie, nous est devenue familière. Les images cathodiques sont omniprésentes dans notre environnement quotidien. Elles font désormais partie de notre univers visuel.
Certains estiment que l’emploi du mot "art" est devenu abusif pour désigner un ensemble de productions qui relèvent plus selon eux de l’expérimentation scientifique et technique que des domaines propres au champ artistique... Repoussant l’idée même que ces formes nouvelles de création puissent s’implanter et se développer sur des terrains qui de longue date appartiennent à la tradition des arts plastiques ils refusent d’admettre que les artistes liés aux développements techniques poursuivent finalement les mêmes buts que ceux qui les ont devancé. Seul l’outil change entre le peintre et l’artiste graphiste qui crée, lui, sur ordinateur... Cela nous amène à initier une réflexion qui nous permette d’essayer de comprendre comment l’utilisation de l’informatique dans la pratique artistique, tout en témoignant d’une certaine continuité, atteste en même temps d’une rupture radicale... L’interactivité que favorisent les nouveaux systèmes technologiques contribue à modifier de façon fondamentale le statut antérieur de la représentation, notre rapport à l’image, notamment quand celle-ci circule à travers les réseaux planétaires de
communication. Comme nous l’avons souligné, nous passons d’une position de "contemplation" à une position de "transformation". L’activité manipulatoire fait du spectateur un contributeur à la proposition de l’artiste, proposition qui l’engage activement et pleinement dans le "devenir" de l’œuvre en voie de constitution.. Les œuvres ne sont plus conçues comme des objets physiques, tangibles, purement matériels, mais comme des systèmes de relations et d’informations, sollicitant l’implication dans un système global d’échange. Le processus vécu par le spectateur l’entraîne à vivre des expériences perceptives et cognitives dans lesquelles c’est la relation à l’espace et au temps qui, au-delà de la "représentation" au sens classique du terme, le conduit à éprouver des émotions esthétiques. La culture et l’art, surtout de l’autre côté de l’atanlique, ne tarderontnt pas à s’adapter à cette situation nouvelle. Nous en voulons pour preuve la décision du Musée Guggenheim qui vient de lancer un programme d’acquisition d’oeuvres multimedias et de sites web pour un montant de 1 millions de dollars. Jacques Harnardt son conservateur pour les arts mediatiques ( et oui il en existe déjà aux Etats Unis...) veut faire de cet outil, selon son propos, non seulement un outil de diffusion mais aussi un espace d’innovation, un laboratoire destiné à modifier la notion de musée elle-même. Une des récentes acquisitions du musée est notamment le site web de l’artiste Shu Leaa Cheang dont on peut déjà prendre connnaissance en ligne.